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12 février 2020
Nantes : Capitale de l'indiennage
Un Eldorado tout en coton.

Du XVII au XVIII ème siècle, les européen·enne·s scrutent l’Orient. Alors que certain·ne·s Françai·se·s découvrent la cardamome et le poivre dans leurs nécessaires en porcelaine, un produit débarque sans prévenir et renverse l’industrie et la mode. Les indiennes, ces cotonnades aux motifs colorés venant du pays du même nom, font de l’industrie textile française un théâtre où jouent artisans suisses, armateurs du commerce triangulaire, modestes et riches habitant·e·s. Le lieu de l’intrigue ? Nantes, qui devient en 1759 une capitale productrice de l’indiennage.

 

Journaliste : Victor Cariou

Crédits Photos : Wikipédia, libre de droit.

Crédits Vidéos : Le Labo des Savoirs.

Sincères remerciements à Alain Gaillard, membre des Amis de Saint-Sébastien-sur-Loire, qui a fourni la majorité des informations de cet article. Remerciements également au Château des Ducs de Bretagne pour l'apport documentaire et au Muséum d'Histoire Naturelle de Nantes ainsi que le Labo des Savoirs pour la conférence.

AVANT L’INDIENNAGE, VOYAGE DANS LE NANTES DU XVII ÈME SIECLE

Un retour de 92 ans en arrière s’impose pour comprendre la place dominante de Nantes dans l’indiennage. Un retour aux origines de la Compagnie des Indes française…

Intervenante : Brigitte Nicolas, conservatrice en chef du Musée de la Compagnie des Indes à Lorient.

Colbert pousse donc le royaume vers l’Orient en créant une ville portuaire éponyme. Un virage tardif par rapport à ses voisins européens, laissant les français sur le côté dans la course aux épices. Dominée par le Royaume-Uni et les Pays-Bas, la France trouvera son bonheur dans un intermédiaire…

Intervenante : Brigitte Nicolas, conservatrice en chef du Musée de la Compagnie des Indes à Lorient.

Les indiennes s’importent alors en masse, et les françai·se·s en raffolent. Le coton d’Orient est agréable à porter, facile à laver, ce sans perdre de ses couleurs chatoyantes, il est solide et abordable. Si bien que les indiennes sont considérées comme le premier produit de consommation de masse ! Nombre sont celles et ceux qui s’habillent et décorent leurs intérieurs avec, au détriment de la laine, du lin et de la soie : les producteurs français de ces tissus font faillite. Afin de pallier cette concurrence déloyale venue d’ailleurs, le Roi interdit en 1686 l’importation, la consommation et les prémices de production française. Une interdiction non suivie par ses voisins européens, rendant la contrebande par les frontières terrestres, amplifiée par celle des marins mêmes de la Compagnie des Indes française, impossible à endiguer. Ne pouvant ignorer l’échec de la prohibition, le gouvernement la lève en 1759. Ainsi commence l’histoire de Nantes comme capitale productrice de l’indiennage.

AUX ORIGINES DE L’INDIENNAGE NANTAIS : COMMERCE TRIANGULAIRE ET GÉOGRAPHIE.

 

Une fois la prohibition levée, l’objectif des producteurs français de textile est double. Un, satisfaire l’importante et populaire demande d’indiennes. Deux, s’inscrire dans un marché hyper concurrentiel déjà occupé par la Suisse, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Les toiles de coton blanc s’importent en masse pour y imprimer les fameux motifs colorés dans les trois centres de productions qui émergent alors : Rouen, la manufacture d’Oberkampf près de Paris, et Nantes. 

 

Pourquoi Nantes ? 

 

Déjà pour son histoire avec la Compagnie des Indes de Colbert. De 1688 à 1733, tous les produits ramenés par la Compagnie à Lorient sont vendus à Nantes. Tout se passe au bas de la Fosse de Nantes, au lieu-dit Chézine, dans la paroisse de Chantenay. L’entrepôt qui s’y trouve fait office de chambre de commerce : Nantes devient une plaque tournante légale, puis illégale, des cotonnades.  

 

La seconde cause est autrement plus dramatique : l’indiennage sert à la traite des Noirs. Précisément, 60% de la pacotille utilisée pour acheter des esclaves sont des indiennes. La production locale de cotonnades favorise alors grandement les armateurs nantais du XVIIIe siècle, quand huit navires sur dix sont armés pour le commerce triangulaire. 



Ne manque plus que l’environnement adapté : un lieu riche en eau, avec de grands prés pour sécher les tissus. Bingo pour Nantes, qui voit peu à peu émerger des manufactures d’indiennes dans le quartier de la Madeleine, l’île de Grande Biesse et Petite Biesse, et l’île du Vertais. Des îles qui n’en sont aujourd’hui plus, après que certains bras de Loire aient été comblés.

Exemple de manufacture d'indiennes.

NANTES, CAPITALE AUX NEUF INDIENNEURS

En 1759, l’industrie de l’indiennage purement française peine à décoller. La technique développée, notamment dans le sud de la France avant 1685, s’est perdue pendant la prohibition. La difficulté réside dans l’impression et la conservation des couleurs, qui font le succès des cotonnades. Beaucoup de Nantai·se·s se lancent dans l’aventure, et échouent. Un Nantais catholique du nom de Langevin parvient à ses fins, mais ce uniquement grâce au savoir-faire d’ouvrier·ère·s allemand·e·s. 

Le secret, à savoir une chaîne de production pointue avec des connaissances spécifiques, n’a pas été oublié des Suisses. Ces dernier·ère·s arrivent à Nantes juste à la fin de la prohibition, et font de la ville une capitale de l’indiennage en 3 ans : 4000 ouvrier·ère·s nantai·se·s travaillent pour neuf indienneurs, majoritairement suisses et protestants.

Le plus connu reste la famille Petitpierre. Installée dans le quartier du Vertais, la manufacture des Petit Pierre se développe sur l’actuel boulevard Victor Hugo, quartier Mangin. Sur la rive d’en face, la famille achète en 1799 le “Clos-sur-l’eau”. Une “folie” construite par Pierre Rousseau, architecte à l’origine de nombreux immeubles d’armateurs à Feydeau.

Exemple d'impression d'indiennes.

ET MAINTENANT ?

Toutes les manufactures d’indiennes ont disparues au fil des divers remaniements de l’île de Nantes. En 1970, le “Clos Royal” remplace le “Clos-sur-l’eau”. Ne subsiste que le cimetière de la famille Petitpierre, et le porche d’entrée. 

L’indiennage, comme ses bâtiments, n’existe plus. Après la Révolution française, les départs de navires vers les antilles se raréfient, et le besoin en pacotille diminue. La production anglaise concurrence trop fortement la cotonnade française. L’indiennage en tant que décoration d’intérieure survit quelque peu à celui de l’habillement. En bref, la mode passe.

Aujourd’hui, le meilleur moyen de voir de ses propres yeux des indiennes est d’aller au Musée du Château des Ducs de Bretagne. Et il est possible d’aller saluer les Petitpierres à leur cimetière, lors des journées du Patrimoine...

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